Article : Une philosophie pour autonomiser depuis l’intérieur

Une philosophie pour autonomiser depuis l’intérieur

La Thaïlande est un fervent défenseur du développement durable au niveau mondial. Le
royaume a fait la promotion de sa propre Philosophie d’Economie de Suffisance (SEP) en tant
qu’approche alternative pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) des
Nations unies. Introduite pour la première fois par le roi Bhumibol Adulyadej après la crise
financière asiatique de 1997, la SEP est devenue le concept de développement de la Thaïlande,
universellement applicable.

Cette philosophie est l’aboutissement des réflexions de Sa Majesté, issues de décennies
de visites et de conversations avec des villageois dans tout le pays. Même le domaine de la villa
Chitralada, son palais royal, était utilisé pour expérimenter des projets agricoles susceptibles
d’être étendus à d’autres régions. Cet héritage royal reste aujourd’hui encore au cœur des efforts
de développement national de la Thaïlande.

La SEP nous fournit une base, et agit comme une boussole vers la durabilité, basée sur
trois principes interdépendants et deux piliers. Le premier principe est la modération, ce qui
signifie produire et consommer dans les limites de ses capacités et éviter les excès. Le second
est le caractère raisonnable, ou l’utilisation de nos facultés mentales pour évaluer les causes et
les conséquences des actions sur notre bienêtre, notre foyer et notre communauté. La prudence
est le troisième principe, qui fait référence à la gestion des risques afin d’être préparé aux
impacts de toute perturbation. En outre, les deux piliers essentiels nécessaires à la mise en
œuvre réussie des principes de la SEP sont la connaissance, ainsi que l’éthique et les vertus. Le
premier nous permet de planifier et d’exécuter efficacement les activités de développement. Le
second favorise le développement humain en mettant l’accent sur l’honnêteté, l’altruisme et la
persévérance, dans le but ultime de créer des citoyens actifs et engagés, et de promouvoir la
bonne gouvernance.

Evidemment, la SEP n’est pas un manuel pratique de développement. Il s’agit plutôt
d’une philosophie qui guide notre réflexion intérieure pour nous immuniser contre les chocs
extérieurs. De même, le concept est flexible et peut être appliqué dans n’importe quel
environnement et à n’importe quel niveau. Cependant, l’économie de suffisance ne signifie pas
que nous devons être complaisants dans la vie. Nous pouvons envisager d’aller audelà de nos
besoins de base tant que cela n’excède pas nos moyens et capacités existants. L’essence de la
SEP est claire : elle nous encourage à être raisonnable et réaliste.

La SEP a inspiré de nombreux projets en Thaïlande et ailleurs. L’Agence thaïlandaise
de coopération internationale (TICA) est le coordinateur de la Thaïlande pour la mise en place
d’une coopération en matière de développement avec des partenaires internationaux dans le
monde entier. Les modèles de développement basés sur la SEP mis en œuvre par la TICA sont
spécifiquement conçus pour aider les pays en développement à échapper au cycle de
dépendance excessive à l’aide étrangère. L’objectif est de créer des communautés résilientes en
partant du niveau individuel, en améliorant la productivité dans les limites des ressources et des
revenus existants.

Depuis 2003, la TICA a réalisé 36 projets SEP dans 21 pays d’AsiePacifique et
d’Afrique, de la République kirghize au TimorLeste et du Mozambique aux îles Salomon. À
l’heure actuelle, il y a 29 projets dans 19 pays, ce qui prouve que la SEP peut être traduite en
action partout.

Il existe deux principaux types de projets SEP à l’étranger pour institutionnaliser le
processus d’autodéveloppement et conserver les connaissances et la sagesse locales :
1) la
création de centres d’apprentissage SEP, qui servent de base de données complètes et de centre
d’apprentissage communautaire avec un expert désigné pour fournir des conseils ; et
2) le
développement de communautés durables SEP pour servir de modèles de développement.

Des projets de centres d’apprentissage SEP sont en cours de réalisation au Laos, au
Myanmar, au TimorLeste, au Brunei Darussalam, aux Tonga, aux îles Fidji et au Lesotho.
Parallèlement, des projets de communautés durables SEP sont en cours au Cambodge, au
Vietnam, aux Philippines, au Bhoutan, au Sri Lanka, au Bangladesh, au Bénin, aux îles Salomon,
au Vanuatu, en République kirghize, au Népal et au Sénégal. Des experts thaïlandais et des
volontaires de la TICA (Friends of Thailand) ont été envoyés pour travailler avec les parties
prenantes locales dans plusieurs de ces pays.

Par exemple, au Laos, des fonctionnaires thaïlandais et laotiens ont créé des centres
d’apprentissage pour le développement durable de l’agriculture à l’école technique agricole de
Dongkhamxang et au collège technique et professionnel de Khammouane. Ces centres
maximisent le potentiel des ressources humaines en proposant des cours de renforcement des
compétences qui couvrent l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, comme la gestion des
exploitations agricoles, la gestion de la productivité et l’analyse des marchés. Dans un Laos
enclavé, l‘agriculture est un secteur vital : le renforcement de ses capacités agricoles permettra
de préserver la sécurité alimentaire nationale et de permettre aux agriculteurs de maintenir leurs
moyens de subsistance.

Au Bhoutan, les professionnels de la SEP ont aidé à développer des produits
communautaires en transposant le programme thaïlandais One Tambon (Subdistrict) One
Product (OTOP) en One Gewog One Product (OGOP) dans les districts de Haa et Tsirang. Le
modèle OGOP comprend la création d’un centre d’apprentissage communautaire sur le tourisme
de proximité dans le district de Haa, et d’un autre sur le développement communautaire durable
dans le district de Tsirang, en vue de responsabiliser les autorités et les communautés locales.

Aux Tonga, la fondation Chai Pattana, sous patronage royal, et le palais royal des Tonga
ont supervisé conjointement un projet de modèle agricole, qui applique la “nouvelle théorie de
l’agriculture”. L’idée est de diviser les terres à des fins multiples telles que la culture, l’élevage,
la pêche et les ressources en eau. Cette approche a permis de garantir des ressources suffisantes
pour la consommation des ménages et de réduire la dépendance à l’égard des importations
alimentaires. Elle a permis d’augmenter la productivité agricole, de générer des revenus et
d’élever le niveau de vie. Le succès de ce modèle de démonstration a depuis été reproduit dans
toutes les îles du royaume.

Le développement est réalisable par différentes voies. Dans de nombreux cas, comme
au Laos, au Bhoutan et aux Tonga, l’approche simple mais pratique de la SEP a été aussi
bénéfique que toutes les autres alternatives, tout en étant encore plus adaptée aux conditions
locales respectives.

Le concept n’est, bien sûr, pas exempt de scepticisme. Mais la Thaïlande a suffisamment
essayé et testé l’applicabilité du SEP avant de le partager à l’étranger. Sur la base de sa politique
de prospérité du voisin, la SEP est l’un des outils de la Thaïlande pour aider les pays voisins à
atteindre la sécurité économique, la sécurité alimentaire et l’autosuffisance. Le succès des
projets SEP dans les pays voisins ne profitera pas seulement aux communautés locales, mais
contribuera également à la paix, à la prospérité et à des liens plus étroits entre les peuples le
long des zones frontalières avec la Thaïlande. Le même principe s’applique à la coopération
avec les pays audelà de la région, qui consiste à les aider à passer du statut de pays bénéficiaire
à celui de partenaire de la Thaïlande dans un éventail plus large de dimensions.