L’empreinte royale sur la communauté chrétienne de Thaïlande
Par le cardinal François Xavier Kriengsak Kovithavanij
Le 21 novembre 2019, des dizaines de milliers de catholiques se sont rassemblés
au stade national de Supachalasai pour accueillir le pape François lors de sa visite
historique en Thaïlande. C’est dans une atmosphère d’excitation et de joie que la grande
foule attendait patiemment d’accueillir leur pape et de se joindre à la messe papale. Pour
les plus jeunes de la nouvelle génération, c’était la première fois qu’ils voyaient un pape
en personne depuis la toute première visite apostolique de la nation, trente–cinq ans plus
tôt.
En 1984, à son arrivée en Thaïlande, le pape Jean–Paul II s’est agenouillé en
débarquant de l’avion et a embrassé le sol, un geste d’humilité, d’amour et de respect
pour le pays et son peuple. Puis, Sa Majesté, le roi actuel, alors prince héritier, a accueilli
le pape et l’a accompagné à une audience avec le roi de l’époque, Bhumibol Adulyadej,
et la reine Sirikit, l’actuelle reine mère. La chaleur humaine qui se dégageait de la
photographie montrant Leurs Majestés accueillant le Pape Jean–Paul II, a fait de celle–
ci une image fermement ancrée dans la mémoire des catholiques et des non–catholiques
de Thaïlande.
Près de quarante ans plus tard, la rencontre entre le roi et la reine actuels et le
pape François fait écho non seulement au lien d’amitié étroit cultivé depuis des siècles
entre la Thaïlande et le Vatican, mais témoigne également du rôle central du monarque
en tant que force unificatrice et défenseur de toutes les religions dans la promotion de
l’harmonie interconfessionnelle et de la coexistence pacifique dans la société
thaïlandaise.
Afin de mieux comprendre le présent, il est essentiel de réexaminer le passé. Les
preuves historiques montrent que le catholicisme romain a été introduit en Thaïlande,
autrefois appelée Siam, par des commerçants et des missionnaires portugais au milieu
du XVe siècle et qu’il s’est solidement implanté sous le règne du roi Narai d’Ayutthaya.
Le fait d’être un bouddhiste déclaré n’a pas empêché ce souverain bienveillant
d’accorder une attention et une importance égales à la pratique de toutes les religions
sur le sol thaïlandais.
Par conséquent, les missionnaires catholiques étaient autorisés à pratiquer et à
prêcher leur foi dans un royaume majoritairement bouddhiste. En retour, ils partageaient
leurs connaissances en matière de sciences, de mathématiques, d’art et de langues, ce
qui a contribué aux progrès de la nation. En outre, ceux qui cherchaient à fuir les
persécutions religieuses dans leur pays d’origine ont été autorisés à s’installer dans le
royaume. Des parcelles de terre ont été accordées royalement pour construire des lieux
de culte, des écoles et des établissements de santé. Depuis lors, des communautés
catholiques très soudées se sont formées et ont prospéré, les églises étant au centre de
leur vie sociale, éducative et religieuse. Aujourd’hui, on compte environ 380 000
catholiques en Thaïlande, sur une population de 66 millions d’habitants.
Les monarques de la dynastie Chakri et les membres de la famille royale ont
continuellement supporté les catholiques au fil des ans. Ils ont déployé des efforts allant
au–delà de l’appel du devoir et ont accordé une attention personnelle à la communauté
catholique thaïlandaise, qu’il s’agisse de présider des cérémonies religieuses, de visiter
des églises ou de faire des dons financiers à des institutions universitaires et à des
hôpitaux. Ce mécénat repose sur la conviction commune de la monarchie et de l’église
chrétienne d’améliorer le bien–être de la population.
Conscients que les églises chrétiennes pouvaient contribuer à combler les
lacunes en matière de développement de la protection sociale, les souverains thaïlandais
successifs n’ont cessé de soutenir diverses activités caritatives chrétiennes susceptibles
d’améliorer les conditions de vie de tous les Thaïlandais. Lorsque le roi Mongkut,
l’arrière–arrière–grand–père du roi actuel, était moine avant d’accéder au trône, il a
développé une amitié personnelle avec le vicaire apostolique du Siam oriental, Jean–
Baptiste Pallegoix. Le moine royal enseigna les langues thaï et pali à Monseigneur
tandis que ce dernier lui enseigna en retour l’anglais et le latin. Cette maîtrise acquise
de l’anglais a certainement permis au roi Mongkut d’avoir accès aux connaissances
modernes, essentielles au développement national de l’époque.
Après son intronisation, le roi Mongkut a tissé des liens avec le Saint–Siège en
envoyant une lettre royale au pape Pie IX. Son fils, le roi Chulalongkorn, a été le
premier monarque d’un royaume non chrétien à se rendre au Vatican en 1897, où il a
rencontré le pape Léon XIII.
La promotion de l’éducation dans les provinces figurait parmi les priorités du roi
Vajiravudh, un objectif partagé avec le travail des missionnaires chrétiens du début du
XXe siècle. En 1906, alors qu’il était encore prince héritier, il a visité l’école de garçons
de Chiang Mai, créée par la mission presbytérienne américaine. Il a gracieusement
présidé la cérémonie de pose de la première pierre du nouveau bâtiment et a rebaptisé
l’école “The Prince Royal’s College” ‘. Son unique enfant, la princesse Bejaratana, a
placé l’école sous son patronage en 1986. Aujourd’hui, l’école reste un symbole du
travail pionnier des missionnaires dans le nord de la Thaïlande.
Au cours de son règne de sept décennies, qui a débuté en 1946, le Roi Bhumibol
Adulyadej, brillant visionnaire, a orienté de manière indélébile le cours du
développement du pays et a ainsi développé les moyens de subsistance de la population.
À plusieurs reprises, il a accordé des fonds pour des activités caritatives et la
construction de bâtiments hospitaliers chrétiens, comme l’hôpital chrétien de Bangkok
et l’hôpital McCormick à Chiang Mai.
Suivant les pas de son père, Sa Majesté le Roi Rama X s’est solennellement
engagé à poursuivre ces initiatives et projets royaux, contribuant ainsi à en améliorer
l’impact pour le bien du peuple. Ainsi, les nobles entreprises et l’altruisme de la royauté
thaïlandaise ont conservé une place particulière dans le cœur de nombreux chrétiens,
continuant d’inspirer des actions caritatives, telles que la création de foyers pour les
enfants sans abri et l’offre aux étudiants défavorisés de possibilités d’éducation et de
formation professionnelle, leur permettant d’être autonomes.
Les liens spéciaux entre la monarchie et toutes les communautés religieuses de
Thaïlande ont été illustrées par l’audience royale de Sa Majesté le Roi lors de la
cérémonie de couronnement en 2019. Le 6 mai de cette année–là, des représentants des
églises catholique romaine, presbytérienne et protestante, ainsi que du Sheikhul Islam
de Thaïlande et de la communauté sikhe ont été parmi ceux qui ont eu le privilège de
présenter leurs sincères salutations en personne au nouveau monarque avant qu’il ne
prononce son premier discours royal au peuple après son couronnement.
La Thaïlande ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui si la monarchie ne servait
pas de pilier de force et de guide, donnant l’exemple et exerçant une autorité morale
incomparable. La générosité, la prévenance et l’ouverture à la diversité dont fait preuve
le souverain ont façonné la nation et d’innombrables vies. En suivant leurs monarques,
les Thaïlandais ont adopté une mentalité d’ouverture et de prise en compte des
différences entre les croyances et les religions, et surtout, un profond respect de ces
différences. Les actions de la monarchie ont, en effet, permis de tisser des liens,
d’approfondir la compréhension interreligieuse et de démontrer que, quelle que soit
notre foi, nous sommes liés par la bonne volonté et les valeurs communes de bonté et
de respect.
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Le cardinal François Xavier Kriengsak Kovithavanij a obtenu sa Maîtrise, la
Licence en Spiritualité de l’Université pontificale Grégorienne de Rome, en Italie. Il a
été consacré évêque de Nakhon Sawan le 2 juin 2007 et a été installé comme archevêque
de Bangkok le 16 août 2009. Les fonctions qu’il a occupées au sein de la Conférence
des Évêques Catholiques de Thaïlande de 2009 à aujourd’hui, comprennent la
présidence des commissions épiscopales pour la pastorale des chrétiens et la présidence
des commissions catholiques pour la liturgie. En outre, le cardinal Kriengsak est
membre du Comité Pontifical pour les Congrès Eucharistiques Internationaux